Quelques mots à l’intention de l’agent de santé villageois
Après avoir attentivement évalué les besoins et les ressources villageoises, vous devez décider avec les gens de la communauté, de ce qui est le plus important de faire d’abord. Vous pouvez faire beaucoup de choses pour aider les gens à être en bonne santé. Certaines sont importantes tout de suite. D’autres favoriseront le bien-être futur des individus ou de la communauté.
Dans beaucoup de villages, la mauvaise alimentation agit sur plusieurs problèmes de santé. Les gens ne peuvent pas être en bonne santé s’ils ne mangent pas assez. Quels que soient les autres problèmes que vous décidiez de traiter, si les gens ont faim ou si les enfants sont malnutris, votre premier souci devrait être d’améliorer l’alimentation dans le village.
Il y a beaucoup de façons d’approcher le problème de la mauvaise alimentation, étant donné que celle-ci a beaucoup de causes qui se rejoignent. Considérez avec votre communauté les actions possibles à entreprendre, et choisissez celles qui ont le plus de chances de réussir.
Voici quelques exemples montrant comment certains villages ont contribué à satisfaire leurs besoins en nourriture. Certaines actions donnent des résultats rapides. D’autres ont des effets qui apparaissent bien plus tard. Avec votre communauté, décidez de celles qui ont le plus de chances de réussir dans votre environnement spécifique.
La rotation des cultures
Les idées proposées dans les pages précédentes ne sont probablement pas toutes praticables dans votre localité. Quelques-unes le seront peut-être, à condition qu’elles soient modifiées pour les adapter à votre situation spécifique et des ressources disponibles. Souvent, le seul moyen de savoir si une méthode va marcher ou non, c’est de l’essayer soi-même. C’est-à-dire d’expérimenter.
Quand vous expérimentez une idée nouvelle, voyez toujours petit. Si vous faites les choses en petit et que l’expérience ne réussit pas, ou que quelque chose doit être fait différemment, vous n’aurez pas perdu beaucoup de ressources. Si elle réussit, les gens verront les bons résultats et pourront prolonger le travail en agrandissant le projet.
Ne vous laissez pas décourager si votre expérience ne marche pas. Vous pourriez peut-être réessayer en faisant quelques changements. On peut tirer des leçons constructives aussi bien après un échec qu’après un succès. Mais votre projet doit rester petit.
Voici l’exemple d’une expérience basée sur une idée nouvelle. On vous a dit que certaines espèces de haricots, comme le soja, sont excellents pour le développement du corps. Mais le soja pousse-t-il dans votre région ? Et s’il pousse, les gens en mangeront-ils ? Commencez par cultiver une petite parcelle – ou 2 ou 3 petites parcelles dans des conditions de terre et d’eau différentes. Si les haricots poussent bien, essayez de les préparer de différentes façons, et voyez si les gens en mangeront. Si c’est le cas, plantez-en plus, dans les conditions qui étaient les plus favorables au moment de l’expérimentation. Mais continuez à expérimenter sous de nouvelles conditions, sur de nouvelles petites parcelles. Vous obtiendrez peut-être une récolte encore meilleure.
Vous voudrez peut-être essayer de changer d’autres conditions, par exemple le type de terre, l’addition d’engrais, la quantité d’eau, la variété de semences.
Pour mieux vous rendre compte de ce qui marche et de ce qui ne marche pas, assurez-vous de ne changer qu’une condition à la fois, en laissant toutes les autres inchangées.
Par exemple, pour contrôler si l’engrais animal (le fumier) fait mieux pousser le soja, et pour vérifier la quantité d’eau qu’il faut employer, cultivez plusieurs petites parcelles côte à côte, dans les mêmes conditions de lumière et d’eau, et avec la même semence. Mais avant de planter, ajoutez à chaque parcelle une quantité différente de fumier, de la manière suivante :
Cette expérience démontre que l’apport d’une quantité spécifique de fumier a de bons résultats, mais que trop de fumier peut abîmer la plante. Ceci n’est qu’un exemple. Vos propres expériences donneront peut-être un résultat différent. Essayez vous-même !
La santé dépend de beaucoup de choses, mais avant tout, elle dépend du fait que les gens aient ou non assez à manger.
La plupart des aliments viennent de la terre. Des terres bien exploitées peuvent produire plus d’aliments. Un agent de santé doit connaître des façons de contribuer à ce que la terre nourrisse mieux les populations –aujourd’hui et à l’avenir. Mais même la terre la mieux utilisée ne peut nourrir qu’un certain nombre de personnes. Et aujourd’hui, beaucoup de cultivateurs n’ont pas assez de terres pour répondre à leurs besoins ou rester en bonne santé.
Dans beaucoup de régions du monde, la situation est en train d’empirer, non de s’améliorer. Souvent, les parents ont plus de bouches à nourrir année après année, sur le peu de terres que les pauvres ont le droit d’utiliser.
Beaucoup de programmes de santé essaient d’arriver à obtenir un équilibre entre le nombre de gens et la terre qui les soutient, au moyen du “planning familial”, c’est-à-dire en aidant les parents à n’avoir que le nombre d’enfants qu’ils veulent. Selon eux, des familles avec moins d’enfants signifient plus de terres et de nourriture à partager. Mais le planning familial en lui-même a peu d’effets. Tant que les gens sont très pauvres, ils voudront avoir beaucoup d’enfants. Les enfants apportent une aide non payée, et quand ils grandissent, ils peuvent même ramener un peu d’argent à la maison. Quand les parents seront vieux, les enfants, ou petits-enfants pourront peut-être les prendre en charge.
Dans un pays pauvre, la présence de nombreux enfants peut représenter un désastre économique. D’un autre côté, avoir beaucoup d’enfants est souvent une nécessité économique, surtout quand plusieurs enfants meurent à un jeune âge. Ainsi, dans le monde d’aujourd’hui, avoir beaucoup d’enfants est le meilleur moyen de protection sociale sur lequel la plupart des gens peuvent compter.
Certains groupes ou programmes prennent une autre approche. Ils réalisent que si les gens ont faim, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas assez de terres pour nourrir tout le monde, mais plutôt parce qu’elles sont entre les mains d’une petite quantité de gens égoïstes. L’équilibre qu’ils recherchent viendrait d’une répartition plus juste des terres et de la richesse. Ils travaillent à aider les gens de manière que ceux-ci puissent avoir plus de contrôle sur leur santé, sur les terres, et sur leur vie.
On a montré que là où les terres et la richesse sont distribuées de façon plus juste, et où les gens bénéficient d’une certaine sécurité économique, ils choisissent généralement d’avoir des familles moins nombreuses.
L’équilibre entre terres et habitants pourrait sans doute être plus facilement réalisé en aidant les gens à s’organiser pour obtenir un partage plus équitable des terres, et plus de justice sociale, qu’en les encourageant seulement à pratiquer le planning familial.
L’équilibre entre prévention et traitement, c’est le plus souvent un équilibre entre besoins immédiats et besoins de long terme. Comme agent de santé, vous devez aller vers les gens de votre communauté, travailler avec eux à leur façon, et les aider à trouver les réponses aux besoins qu’ils ressentent le plus. Le premier souci des gens est généralement de soulager la maladie et la souffrance. C’est pourquoi l’un de vos premiers buts doit être de les aider à guérir.
Mais en même temps, voyez plus loin. Tout en vous préoccupant de leurs besoins immédiats, aidez aussi les gens à considérer l’avenir. Aidez-les à réaliser que beaucoup de maladies et de souffrances peuvent être évitées et qu’ils peuvent avoir eux-mêmes des comportements de prévention.
Mais attention ! Ceux qui travaillent à améliorer la santé vont parfois trop loin. Dans leur désir de prévenir les maladies futures, il leur arrive de porter trop peu d’intérêt aux maladies et souffrances existantes. En ignorant les besoins actuels des gens, ils risquent de ne pas obtenir leur coopération. Et de ce fait, ils peuvent ne pas réussir non plus à atteindre une bonne partie de leurs objectifs de prévention.
Le traitement et la prévention vont ensemble. Un traitement commencé à temps empêche très souvent qu’une maladie peu dangereuse ne devienne grave. Si vous aidez les gens à reconnaître plusieurs de leurs problèmes de santé les plus courants et à les traiter dès le début, chez eux, beaucoup de souffrances inutiles seront évitées.
Soigner à temps, c’est aussi faire de la médecine préventive.
Si vous souhaitez leur coopération, partez du niveau où sont les gens. Essayez de trouver un équilibre entre la prévention et le traitement qui soit acceptable pour eux. Cet équilibre sera déterminé en grande partie par les attitudes existantes face à la maladie, au traitement, et à la santé. À mesure que vous les aidez à voir plus loin, que leurs attitudes changent et que plus de maladies sont traitées et contrôlées, vous verrez peut-être la balance pencher naturellement vers la prévention.
Vous ne pouvez pas dire à une mère dont l’enfant est malade qu’il est plus important de prévenir que de guérir, du moins si vous voulez qu’elle vous écoute. Mais tout en l’aidant à soigner l’enfant, vous pouvez lui dire que la prévention est tout aussi importante.
Progressez vers la prévention, ne forcez pas les gens.
Profitez du traitement pour introduire la prévention. Le moment où les gens viennent se faire soigner est l’une des meilleures occasions de leur parler de prévention. Par exemple, si une mère amène son enfant parce qu’il a des vers, expliquez-lui soigneusement le traitement qu’elle devra faire suivre à l’enfant. Mais prenez aussi le temps d’expliquer à la mère et à l’enfant comment on attrape des vers parasites et les différentes choses qu’on peut faire pour empêcher que cela arrive (voir le Chapitre 12 Médecine préventive: comment éviter nombreuses maladies). De temps en temps, rendez-leur visite chez eux, non pour trouver ce qu’ils ne font pas comme il faut, mais pour amener la famille à se soigner elle-même de façon plus efficace.
Faites du traitement une occasion d’enseigner la prévention